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Interview de Patrick Devanthéry, Président du jury

 

21/10/2016. Genève. Patrick Devanthéry, président du jury au concours sur les projets d'aménagement de la Rade. Pierre Abensur/Tamedia
21/10/2016. Genève. Patrick Devanthéry, président du jury au concours sur les projets d’aménagement de la Rade. Pierre Abensur/Tamedia

« La rade peut faire rêver »

Lieu touristique et espace de contemplation, la rade doit désormais mieux répondre aux aspirations des habitants. Patrick Devanthéry présidera un concours qu’il attend prometteur.

Patrick Devanthéry présidera le jury du concours d’idées. Il nous a reçus dans son bureau des Eaux-Vives pour nous expliquer comment il envisage ce concours et les perspectives qu’il offre. Agé de 62 ans, l’architecte a travaillé durant trente-quatre ans, jusqu’en 2014, avec Inès Lamunière. Ensemble, ils ont réalisé l’Ecole de Cressy, le Nouveau Prieuré à la Gradelle ou la rénovation de la tour TV. A Lausanne, ils ont aussi construit l’Opéra et le siège de Philip Morris. On sent l’architecte enthousiaste à l’idée de présider ce jury.

M. Devanthéry, le concours qui s’ouvre est un peu inhabituel. Expliquez-nous en quoi il réside.

C’est en effet un concours d’idées qui est ouvert, et non pas un concours de projets. Dans ce dernier cas, on demande à l’architecte de répondre à une question précise. Par exemple, j’ai besoin d’une école, faites-moi le meilleur projet possible. Dans le cas d’un concours d’idées, la question est plus vaste et touche plutôt à une problématique. Dans la rade, il y a des lieux de baignade, des promenades, des glaciers, des plates-formes pour des manifestations. La question est de savoir comment on articule toutes ces activités et si on peut en ajouter d’autres. Mais il ne suffit pas d’avancer simplement des idées. Il faudra les formaliser, en termes de contenu, d’événements et d’aménagements.

Va-t-on réaliser le projet du lauréat?

Pas dans l’immédiat. Un tel concours doit apporter de la matière première pour susciter le débat, encourager les habitants et les autorités à se projeter, en dévoilant le potentiel de ce lieu exceptionnel. Ensuite, on pourra piocher dans les idées émises pour les réaliser. Mais le lauréat ne va pas percevoir d’honoraires liés à des constructions. C’est pourquoi les prix sont assez conséquents. Nous disposons d’une enveloppe globale de 250 000 francs à distribuer aux premiers prix.

Quelle est la vraie question que l’on pose? Que veut-on vraiment?

Aujourd’hui, la rade est avant tout un lieu touristique, un espace de contemplation. On pourrait presque dire qu’elle est réservée aux autres. Le but consiste à faire de cet endroit… hum, peut-on le dire ainsi?… un lieu de jouissance.

Sur quels critères allez-vous juger?

Les projets devront favoriser la promenade et la végétalisation des lieux, faciliter l’accès à l’eau, offrir des espaces de détente et de convivialité, et encourager la mobilité douce. Ce sont les souhaits des autorités. Mais nous voulons nous laisser surprendre et donner une chance aux idées nouvelles.

Quel est le périmètre de la rade?

Il est logique de l’arrêter aux frontières communales. Le périmètre du concours couvre les quais et les promenades de la rade, du pont du Mont-Blanc jusqu’à la future plage des Eaux-Vives sur la rive gauche, et jusqu’au parc de la Perle du Lac sur la rive droite. En profondeur, il n’y a pas de limites Le concours d’idées n’a pas de cadre strict, c’est l’avantage. Personne n’est éliminé parce qu’il a enfreint les règles. On pourrait même imaginer des projets qui favoriseraient les échanges entre le lac et l’arrière des quartiers. Aujourd’hui, les immeubles des quais forment un mur peu perméable.

Y a-t-il des tabous dans la rade, des éléments à ne pas toucher?

Il faut bien sûr tenir compte de l’existant. La ligne horizontale des bâtiments qui bordent la rade, par exemple. Je doute qu’un immeuble hors norme qui brise cet épannelage ait un sens. Le Jet d’eau est aussi un emblème qu’on ne touchera pas. On ne va pas jouer aux héros. A priori, l’Horloge fleurie et le Jardin anglais apparaissent aussi comme des éléments à préserver. Mais rien n’est immuable. Il y a vingt ans, personne n’aurait cru à une nouvelle plage aux Eaux-Vives. Elle va pourtant se réaliser et les concurrents devront en tenir compte.

On lance un concours sur un site sur lequel on ne peut presque pas planter un clou. Est-ce bien utile?

C’est vrai que les contraintes sont très fortes. Mais le pourtour de la rade présente des caractères très variés et offre un grand potentiel. Il existe beaucoup d’espaces peu utilisés que l’on peut mettre en valeur. Voyez par exemple le nouvel usage qui est fait de la jetée du Jet d’eau depuis qu’elle a été réaménagée. J’espère que nous aurons des propositions pour retravailler les rives et favoriser l’accès à l’eau et à la baignade. Je pense aussi que cet espace peut être propice à de nouvelles pratiques sociales.

Que voulez-vous dire?

Je vous rappelle qu’il y a vingt-cinq ans, personne ne marchait sur les pelouses. Aujourd’hui, elles sont bondées. Je compte sur l’expérience des participants au concours pour nous ouvrir des perspectives. Prenez les Bains des Pâquis. Il y a trente ans, on s’y baignait en été, c’est tout. Aujourd’hui, c’est ouvert toute l’année, on y prend des saunas et on assiste à des concerts à 6 heures du matin. Les Bains représentent un tournant dans l’histoire de la rade, car les gens se sont emparés de ce lieu voué à la démolition et lui ont inventé une nouvelle vie.

La circulation sur les quais ne va pas changer. Cela limite tout de même la portée du concours, non?

La rade représente une bande de plus de trois kilomètres de long et entre 10 et 100 mètres de large. Il n’y a pas beaucoup de surfaces équivalentes dans les villes européennes. Croyez-moi, il y a de quoi faire. Il y a vraiment matière à rêver.

Certains craignent qu’on chasse toute activité sur le site.

Certaines activités nécessitant un lien avec le centre doivent rester dans la petite rade. Par exemple la police, les débarcadères de la CGN, des Mouettes et de Swissboat. On peut imaginer une cohabitation avec, par exemple, les pêcheurs, même s’il est déjà prévu qu’une «Maison de la pêche» les accueille du côté de la future plage. En revanche, la présence des chantiers lacustres et des bateaux-ventouses délabrés sur les plus beaux endroits des quais alors qu’il y a une très forte demande sociale, cela ne tient pas.

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Genève en quête d’idées pour rendre la rade plus conviviale

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Tribune de GenèveLe Maire de Genève veut profiter de son année de Mairie pour réactiver le dossier

La rade s’invite à nouveau dans l’agenda politique. Non pas par le biais des Fêtes de Genève, comme cet été, encore moins via une éventuelle traversée. Non, cette fois, c’est d’aménagement des quais qu’il s’agit. Le conseiller administratif PDC Guillaume Barazzone veut profiter de son année de mairie pour réactiver le dossier. Il a décidé de lancer un concours international destiné aux architectes, comme il l’annonce en exclusivité dans la Tribune de Genève. Le but: faire surgir des idées qui permettent d’envisager un aménagement global de la rade.

Le site fait l’objet de critiques depuis plusieurs années. Les lieux de baignade sont insuffisants, les quais et le plan d’eau sont encombrés, notamment par des bateaux ventouses, et la Ville n’a pas encore trouvé la bonne formule avec ses édicules. Bref, ce lieu prestigieux est à la peine. Le but du magistrat consiste à mieux le mettre en valeur, comme il nous l’explique.

Guillaume Barazzone, selon vous, en quoi la rade, aujourd’hui, n’est-elle pas satisfaisante?

Il faut d’abord rappeler que l’histoire de Genève est étroitement associée au lac. Il est donc important de s’en soucier. Nous bénéficions d’un plan d’eau et d’un paysage exceptionnels. C’est une chance inouïe, presque unique en Europe. Mais le site n’est pas mis en valeur. On le constate quand on s’y promène. L’espace public est saturé par une multiplicité d’activités qui limitent l’accès à l’eau et au panorama. Je pense par exemple aux chantiers lacustres et aux vieux bateaux ventouses qui accaparent les quais, alors que ceux-ci devraient être à la disposition de la population et des touristes. Les espaces publics sont insuffisants et ne permettent pas aux nouveaux usages de se développer. La rade a un potentiel totalement inexploité et ne correspond plus aux attentes de la population.

Vous lancez donc un concours d’architectes.

Je le lance en collaboration avec mon collègue Rémy Pagani, responsable des Constructions, et en y associant le Canton. Le but consiste à faire émerger une vision novatrice qui nous aide à développer un ensemble de réalisations concrètes. C’est pour cela que nous avons choisi la formule du concours d’idées.

En quoi un concours d’idées est-il particulier?

Dans un concours de projets, l’organisateur doit réaliser le projet lauréat. Le concours d’idées, lui, sert à susciter une vision globale et des idées de projet, mais la Ville n’aura pas l’obligation de réaliser le projet lauréat. Elle pourra en revanche s’inspirer des idées émises par les différents concurrents. Le but est d’avoir de la matière pour se projeter, imaginer comment rendre ce lieu plus convivial et réaliser de nouveaux aménagements pour la rade.

Quand connaîtra-t-on les résultats?

Le concours s’ouvre le 8 novembre. Les projets des concurrents primés seront ensuite présentés en mai au public dans le cadre d’une exposition qui aura lieu sur les quais. Un débat public y sera organisé. Je veux associer la population à ce projet afin qu’elle puisse se réapproprier la rade. Ce sera le début d’une consultation à laquelle sera aussi associé le Conseil municipal.

Concrètement, qu’attendez-vous?

Il faut favoriser l’accès à l’eau, car aujourd’hui les gens s’entassent aux Bains des Pâquis et à Genève-Plage. Les concurrents devront d’ailleurs tenir compte de la future plage et du prochain port des Eaux-Vives. Il s’agit également de favoriser la promenade, les espaces de détente et la mobilité douce. Nous devons aussi tenir compte des nouveaux besoins. La rade est par exemple très utilisée en été, moins à d’autres saisons.

La rade est très protégée. Pensez-vous vraiment pouvoir y faire quelque chose?

La rade, telle qu’on la connaît aujourd’hui, a été construite sur quelques décennies au XIXe siècle. Après les années 30, on n’a plus osé la toucher. Respecter le patrimoine ne veut pas dire que tout doit être figé. Il est vrai que nous sommes dans une zone très protégée. Mais des exceptions pour des infrastructures publiques sont possibles selon le règlement de l’initiative «Sauvons nos parcs au bord du lac».

Ne craignez-vous pas d’en faire un endroit encore plus touristique?

Non. Je souhaite en faire un lieu plus convivial pour les habitants et les touristes. Vous connaissez beaucoup de gens qui, en hiver, vont boire un café sur la rade? Non, et c’est dommage. Les Bains des Pâquis sont un très bon modèle. L’architecture respecte l’esprit des lieux, on y trouve toutes les couches de la population et les animations sont, elles aussi, respectueuses du site.


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